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Les chaussettes de Monsieur Radjabali

dimanche 1er juin 2008, par marc

Quand la monnaie d’un pays est "non convertible", ou que l’on ne peut pas la sortir du pays, inévitablement s’instaure un change noir. Les taux bancaires officiels étant prohibitifs la tentation est grande "d’explorer" d’autres voies de change pour améliorer la transaction !

Exercice périlleux et risqué pour le touriste moyen, petits marlou qui s’évanouit dans la nature une fois les précieuses devises du gogo en poche, "attention la police !" et pfuit ! adieu Berthe ! Ou bien billets pliés, petites coupures dissimulées dans un paquet de billets... Bref pas évident de jouer le gagnant/gagnant ! Sans parler des pièges tendus par la police pour coincer le délinquant ...

Lorsque l’on est résident dans un pays les choses se passent différemment. Je ne parlerai pas ici des pays de l’est de l’ère communiste, "la chose" se faisant de manière quasiment officielle par le biais de procédures diplomatiques de l’ombre...

En Tanzanie la transaction était... disons plus exotique...

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A la fin des années 80 le modèle économique de la Tanzanie de Julius Nyerere commençait à peine à s’extirper des principes marxistes qui avaient fait la fortune et l’éclatante réussite du bloc de l’est !

Les entrepreneurs qui gagnaient de l’argent ne pouvaient l’exporter... Il en était des grands groupes comme des petits chefs d’entreprises. J’avais par exemple visité en Zambie une ferme à crocodiles qui permettait d’exporter sous forme de peaux les bénéfices générés par une importante compagnie belge de shipping installée en Zambie.

En Tanzanie comme dans une grande partie de l’Afrique de l’Est, des secteurs entiers de l’économie étaient aux mainx de commerçants indiens qui possédaient restaurants, boutiques, fabriques, garages etc...

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Coolies indiens

Descendants de ces coolies que les britanniques avaient "importés" de leur empire des Indes pour accomplir divers grands travaux lors de la colonisation de l’Afrique de l’Est : construction des routes, des lignes de chemin de fer, aménagement des ports ... ils avaient traversé toutes les vicissitudes de l’histoire mouvementée de cette partie de l’Afrique au prix parfois de sanglants massacres.

Travailleurs infatigables et obstinés ils amassaient des fortunes... en Shillings Tanzaniens qui leur permettaient de bâtir d’immenses villas... tandis que les liasses de billets s’amoncelaient...

Et c’est pourquoi les indiens constituaient les gros bataillons des changeurs "au black"...

Le principe était simple en échange de numéraire nous opérions un transfert bancaire au profit d’un compte situé généralement en Europe, au Canada ou au USA...

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Compte tenu de la faible valeur de la monnaie, les échanges représentaient des paquets conséquents de billets de banque...

Monsieur Radajabali était notre changeur.

C’était un indien grassouillet, retord et filou malgré son approche réservée et obséquieuse...

Sitôt contacté, il déboulait à la maison dans sa veille 403 Pigeot gris souris, il attendait que le jardinier ait refermé le portail pour s’extirper de son antique limousine. Sueux et soufflant il nous adressait mille courbettes et salutations, et attendait d’être dans la maison pour extirper du fond de ses poches une partie des précieuses liasses. Pourtant l’essentielle provenait de ses chaussettes où il parvenait à glisser des quantités énormes de bifetons qui trouvaient leur place autour de ses mollets dodus !

Pour être complet il faut dire que ces transactions reposaient sur une confiance absolue... Une fois l’argent empochée rien n’assurait le changeur que l’ordre de virement soit effectivement passé...

Une dernière anecdote pour illustrer cette relation "de confiance", j’ai eu besoin d’un importante somme (environ 10 000 Euros) pour acheter un bateau. Pour cette fois, Monsieur Radjabali n’était pas disponible, en voyage probablement. Un ami du Yacht Club de Dar Es Salaam, lui même correspondant local d’une importante compagnie maritime française m’a alors présenté "son" changeur. Pour le coup, il s’agissait d’un tanzanien, un riche tanzanien...

Je me revois dans le bureau de ce monsieur situé dans la zone portuaire de Dar Es Salaam, sous le portrait de l’ayatollah Komheini, l’homme en question étant chiite. Nous ne nous connaissions ni d’Eve ni d’Adam... mais après une brève conversation je me suis retrouvé avec une valise de billets et un vague papier portant les coordonnées d’une banque aux Etats Unis... Relation de confiance ... ou menace d’une plongée dans les eaux glauques du port, les pieds lestés de ciment ???

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